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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Hector était secrètement ravi du tour confidentiel que prenait la conversation. Il répliqua avec une sorte de rondeur amicale :

— Allons ! allons ! mon cher Fleuriot, il ne faut rien exagérer, et vous auriez dû depuis longtemps prendre votre parti de cette malencontreuse blessure. En définitive, vous êtes robuste, bien portant ; vous êtes resté fort beau garçon, et on prétend que les jeunes filles du pays s’en sont aperçues. Qui sait même si votre légère infirmité n’est pas à leurs yeux un attrait de plus ? les femmes aiment le courage. Pour ce qui est de votre position inférieure, que ne cherchez-vous à l’améliorer ? Ne pourriez-vous, par exemple, en rendant des services à votre administration, obtenir de l’avancement ?

— Je l’ai essayé, monsieur, répliqua Raymond d’un air d’accablement, et je n’ai pas réussi.

— Ah ! ah ! contez-moi cela, dit Cransac avec une vivacité qu’il ne sut pas contenir.

— À quoi bon parler d’une tentative avortée et dont les conséquences ont été désastreuses pour moi ? J’avais tort sans doute, et j’avais trop présumé de moi-même… Laissons le passé ; si je m’en souviens parfois c’est que je n’ose regarder dans l’avenir… Mais excusez-moi, monsieur le vicomte ; des intérêts si bas sont indignes d’occuper votre attention.

Cransac éprouva encore un profond désappointement ; il avait espéré que cet homme, si peu communicatif, allait enfin laisser échapper d’importants aveux, et son espoir se trouvait déçu. Cependant la glace était rompue entre eux ; Cransac venait de recueillir un renseignement qui ne manquait pas de portée, et peut-être, en s’armant de patience, trouverait-il plus tard une occasion d’en venir à ses fins. Il répondit donc avec toutes les apparences de la cordialité :

— Yos intérêts me touchent beaucoup, au contraire,