Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

les avances d’un homme distingué, riche et noble, uniquement parce qu’il était riche et noble. La première impression passée, il avait ressenti quelque orgueil de se voir, lui dans une condition si obscure, l’objet des prévenances de l’opulent Parisien. D’autre part, il éprouvait auprès de la séduisante Fanny une émotion indéfinissable, et nous devons dire que la soi-disant marquise par l’estime, la confiance, la préférence marquée qu’elle lui témoignait, ne contribuait pas peu à entretenir ce sentiment. Aussi Fleuriot, tout en conservant une certaine réserve envers Hector de Cransac, se montrait-il plus ouvert, plus expansif que par le passé, et il s’abandonnait plus franchement à sa nature, qui était loyale, généreuse, pleine d’enthousiasme et d’énergie au besoin.

On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que, moins d’une semaine après l’arrivée des châtelains à Puy-Néré, Raymond se fût offert pour guide dans une chasse, d’espèce nouvelle et toute locale, que Cransac avait projetée. D’abord Morisset avait dû être de la partie, mais le jour convenu il s’était trouvé de service. Comme on attendait d’un moment à l’autre la visite de l’inspecteur de la ligne, on n’avait pas osé laisser le jeune surnuméraire seul au télégraphe, ainsi que cela était arrivé plus d’une fois, et Morisset, à son grand désespoir, avait dû demeurer à son poste au sommet de la tour Verte. Du reste, Fleuriot connaissait très-bien le canton où il s’agissait de chasser, et Hector n’était pas fâché d’une circonstance qui le mettait en rapport intime avec un homme dont il avait à capter la confiance.

Un matin donc, par un temps nuageux quoique chaud, le vicomte, équipé en chasseur et le fusil sur l’épaule, sortait de Puy-Néré en compagnie de Raymond Fleuriot. L’employé n’avait pas de fusil, car il devait être simple spectateur de l’action, et il s’appuyait sur une canne dont sa légère claudication lui rendait l’usage nécessaire. Il portait son costume habituel et avait pour coiffure sa casquette d’uni-