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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

chasse ; il y trouve non-seulement du plaisir, mais encore une ressource, et il y a d’humbles ménages où, sans lui, on ne mangerait jamais de gibier… Les lièvres et les lapins ne manquent pas dans la lande, et votre table n’en sera pas moins bien fournie parce qu’on aura prélevé sur eux la part du pauvre.

L’ancien sous-officier, qui se montrait si inflexible et si fier quand il s’agissait de lui-même, avait trouvé des intonations suppliantes pour plaider la cause de son collègue.

Ses yeux se tournaient particulièrement vers Fanny, comme s’il eût invoqué son appui en faveur du braconnier Morisset. La jeune femme comprit cette invitation muette :

— Allons ! dit-elle d’un ton enjoué, Hector se relâchera un peu de sa sévérité… Il serait cruel de priver un pauvre homme de sa distraction favorite.

— Vous ne savez pas, Fanny, combien il est pénible pour un chasseur… Mais, soit, poursuivit le vicomte en faisant ou paraissant faire effort sur lui-même ; je rends justice à l’excellent sentiment de confraternité auquel obéit M. Fleuriot, et son camarade aura toute liberté de braconner sur mes terres. Seulement Morisset devra savoir que cette faveur, dont je ne serai pas prodigue, lui est accordée à la recommandation de M. Fleuriot, qui m’inspire toute sympathie.

Il était impossible à Raymond de n’être pas touché de cette condescendance. Il s’inclina donc devant Cransac d’un air de gratitude.

— Merci, monsieur le vicomte, dit-il ; Morisset sera bien content !… Merci aussi, madame la marquise, ajouta-t-il d’un ton plus pénétré encore ; votre présence, je le prévois, sera un bienfait du ciel pour cet humble coin de terre, car vous êtes bonne autant que…

Il n’osa achever et rougit sous son hâle. Heureusement Jean Bascoux lui cria de l’autre côté de la cabane :