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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

la rigueur de vos règlements. Savez-vous que les signaux que vous êtes chargés de transmettre peuvent parfois intéresser le salut de l’État ?

Nous ne pensons pas à cela, monsieur ; nous nous contentons de les répéter avec exactitude, sans nous occuper de ce qu’ils disent.

— Quoi ! demanda Fanny avec son apparente naïveté, vous ignorez absolument le sens de ces figures bizarres que votre machine exécutait tout à l’heure ?

— Absolument, madame ; nous connaissons les signaux de police qui se font sur « l’oblique de gauche, » mais rien de plus.

— C’est singulier ! reprit Cransac en affectant une extrême surprise, et n’est-il personne, parmi des employés si intelligents, qui soit arrivé à connaître du moins certains signaux ?

— Personne.

Le vicomte et la soi-disant marquise échangèrent furtivement un regard de consternation.

— En ce cas, monsieur, dit Fanny d’une voix caressante et comme si elle voulait tenter l’épreuve à son tour, votre genre de vie doit vous paraître bien triste, et je sais que vous étiez destiné à une position plus honorable.

Raymond la remereia de cette bienveillance par un signe de tête. Cependant il se contenta de répondre :

— Bien triste, en effet, madame ; mais… il faut vivre.

— Vous devez trouver insupportable ce travail purement mécanique ?

— On me paye pour le travail de mes bras ; on se soucie peu de mon intelligence… si j’en ai.

— Néanmoins, monsieur Fleuriot, je persiste à croire que vous n’êtes pas ici à votre place ; et si le crédit de mon frère pouvait vous être utile…

Raymond se redressa.

— Merci, madame la marquise, répondit-il avec une cer-