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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

tard, elle tenait le ménage pendant que son fils et sa fille vaquaient à leurs travaux, et se rendait utile de mille manières à ses enfants qui l’adoraient.

Telles étaient donc les deux personnes qui causaient dans la cabane du télégraphe sur les nouveaux propriétaires du Château-Neuf. Lucile parlait avec volubilité, et paraissait émerveillée de leur opulence ; Raymond, au contraire, se montrait assez indifférent à ce sujet, et, tout en dépêchant son déjeuner, il ne répondait que par monosyllabes, comme s’il eût seulement obéi à un sentiment de condescendance pour sa seur.

— Il est certain, Raymond, disait la jeune fille, que ce sont des gens du grand monde. Ils avaient déjà un domestique et une femme de chambre ; voilà maintenant qu’il leur arrive une cuisinière de Barbezieux, et puis le vieux Joseph sera leur jardinier. Ils feront de la dépense et les pauvres gens en profiteront. Le clerc de notaire dit que le monsieur a l’intention d’acheter tout le terrain à vendre dans le voisinage ; le terrain n’est pas cher, il est vrai, et ne vaut pas grand’chose ; mais il paraît que M. le vicomte (car il est vicomte) fera exécuter des travaux considérables, et que le sol deviendra aussi bon que les meilleurs sols de l’Angoumois et du Bordelais.

— Il ne pourrait mieux employer son argent, répliqua laconiquement Raymond, qu’à fertiliser ce pays de misère.

— On le dit aussi charitable qu’il est riche. L’autre jour, il a donné dix francs à la veuve Canivet, qui s’est cassé la jambe… Et puis il semble aſmer beaucoup les animaux ; il y avait dans les paniers que le petit Antoine a aidé à descendre d’un fourgon, trente ou quarante beaux pigeons que l’on a transportés dans l’ancien colombier.

— Bah ! ce monsieur apprécie sans doute les pigeons rôtis, répliqua Fleuriot avec sa rudesse chagrine ; pourvu qu’il n’ait pas la pensée de nourrir ceux-là avec la récolte des pauvres paysans, comme sous l’ancien régime !