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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

vingt-cinq ou vingt-six ans, et par tout pays il eût passé pour un fort beau garçon. Sa taille était moyenne, mais robuste et bien proportionnée ; sa figure régulière, un peu brunie par le soleil, avait une expression de loyauté et d’intelligence. Ancien soldat, il portait encore la moustache et l’impériale ; l’ensemble de sa personne conservait quelque chose de militaire. Ses yeux noirs, profonds, décelaient une âme ardente, bien que parfois une nuance de tristesse en amortit l’éclat. Il était vêtu simplement d’un pantalon de toile et d’une blouse de coutil ; cette blouse, ouverte par devant, laissait voir une chemise d’une blancheur de neige et un cou rond, bien modelé, qui jouait avec aisance dans une petite cravate de soie.

Par malheur, si Raymond Fleuriot eût quitté son siége, on eût pu remarquer une légère imperfection dans sa personne, imperfection, hâtons-nous de le dire, qui était l’œuvre des hommes et non de la nature. Par suite d’un coup de yatagan reçu dans la plaine de la Mitidja, en Afrique, Raymond boitait légèrement, et cette infirmité, à peine sensible quand on n’était pas prévenu, n’avait pas moins nécessité son congé de réforme dans l’armée, au moment où il espérait passer officier. C’était peut-être le souvenir de cet événement qui donnait souvent une teinte mélancolique à ses traits, si toutefois, elle n’était due à la conscience de l’humble position où il végétait quand la nature l’avait pourvu d’activité, d’énergie et d’intelligence.

Sa sœur, Lucile Fleuriot, de quatre à cinq ans moins âgée que lui, était une charmante personne, à la physionomie gracieuse, souriante, pleine de douceur. Elle avait aussi les yeux noirs ; mais tandis que ceux de Raymond dardaient comme une flamme dévorante, les siens ne reflétaient que de la bienveillance et de la gaieté. Sa mise, presque pauvre, consistait en une modeste robe d’indienne et en un chapeau de paille. Néanmoins il y avait en elle une distinction innée qui l’élevait de beaucoup au-dessus des