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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

après la mort du dernier (un vieux chevalier de Saint-Louis qui avait passé là de longues années en compagnie de sa tabatière et de ses souvenirs), la maison et les dépendances avaient été mises en vente. Mais qui eût voulu acquérir cette masure et ces landes, dans ce pays perdu ? Aussi, pendant plusieurs années, l’habitation resta-t-elle fermée, livrée à l’abandon. La mousse couvrit ses murailles et ses volets ; les plantes parasites envahirent son toit ; tout l’édifice prit un air sinistre, et les superstitieux paysans du voisinage étaient convaincus que, chaque nuit, une bande de revenants se livrait dans l’intérieur de ce vieux logis aux plus terribles ébats.

Cependant un matin, quelques semaines seulement avant le jour où commence cette histoire, un paysan qui revenait de la ville voisine apporta au village de Puy-Néré une grande nouvelle : le Château-Neuf était vendu, ainsi que la tour et les terres qui en dépendaient. Bientôt on apprit encore que l’acquéreur était noble, immensément riche, et, pour comble de prodige, qu’il allait venir habiter sa propriété.

Pour le coup, l’hyperbole parut trop forte et elle éveilla des doutes nombreux ; mais les sceptiques furent bien punis de leur incrédulité. Une semaine plus tard, on vit une troupe d’hommes, suivis de chariots, monter le chemin raboteux qui conduisait au Château-Neuf. Ces hommes étaient des maçons, des couvreurs, des charpentiers chargés de mettre le vieil édifice en état d’être habité ; ces chariots contenaient les matériaux nécessaires pour les réparations, et jusqu’à des meubles d’une forme et d’un bois inconnus aux naturels du pays. Tout ce monde commença à travailler avec une ardeur inouïe. Pendant plusieurs jours, le hameau de Puy-Néré, où les ouvriers avaient dû se loger, présenta un spectacle joyeux et bruyant dont les plus anciens habitants n’avaient jamais vu d’exemple.

Mais cette animation ne dura pas longtemps, et cette lé-