Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Vous ignorez peut-être, poursuivit-il, que depuis quelques mois, le système des signaux de la télégraphie aérienne a été complétement changé. Naguère encore on en était aux combinaisons des frères Chappe, inventeurs du télégraphe, et ces combinaisons entraînaient de facheuses lenteurs, quand un jeune employé conçut l’idée d’un système nouveau plus prompt, plus complet et beaucoup plus simple que le précédent. Après plusieurs années d’études, il refondit en un seul les trois anciens vocabulaires, appelés vocabulaire des mots, vocabulaire des phrases et vocabulaire géographique. Sa méthode augmente le nombre de signaux, simplifie la composition et la traduction des dépêches ; elle marque enfin un progrès immense sur celle de Chappe, et son admission devait être une bonne fortune pour l’administration.

« Ce travail achevé dans le plus grand secret, le pauvre garçon dont je parle se trouva très-embarrassé pour en tirer parti. Il était confiné dans une station télégraphique de campagne, livré au rude et assujettissant labeur de ses fonctions, sans autre ressource que ses misérables appointements. D’ailleurs, avec la modestie du vrai mérite, il doutait de lui-même et de sa découverte. Aussi, n’osant adresser directement à l’administration supérieure le volumineux manuscrit qui contenait son système télégraphique, le con fia-t-il à un inspecteur, son chef immédiat, avec prière de l’examiner. L’inspecteur, un finaud, ainsi que vous allez voir, prit le manuscrit d’un air indifférent, comme par complaisance, et l’emporta. Pendant plusieurs mois, l’employé n’en entendit plus parler. Enfin un jour, en faisant sa tournée ordinaire, l’inspecteur revint, mais ce fut pour adresser à son subordonné les reproches les plus sévères. Selon lui, la nouvelle méthode télégraphique était absurde, ridicule, inapplicable ; il avait jeté le manuscrit au feu, et si l’administration centrale apprenait à quoi un de ses employés perdait son temps et comment il cherchait à sur-