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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

dant autant de fumée que de chaleur, et, outre le sifflement du vent, on n’entendait dans la cabane que le tictac monotone de la pendule.

Morisset paraissait absorbé par de graves méditations, bien qu’il ne pensat à rien, le brave homme, et que son apparente rêverie fût seulement une invincible somnolence.

En revanche, Bascoux se levait par intervalles pour coller son œil à la lunette incrustée dans la muraille, puis il venait reprendre sa place et son journal.

Cette exagération de rôle finit par impatienter Morisset, qui dit en secouant les cendres de sa pipe :

— Tiens-toi donc tranquille, petiot ; les camarades ne bougeront pas tant que durera ce gros brouillard ; nous pouvons nous donner du bon temps.

— Dame ! monsieur Morisset, répliqua Bascoux, l’indicateur de gauche a battu deux fois ces jours derniers et ce matin encore pendant l’éclaircie ; cela annonce, comme vous savez, que l’inspecteur est sur la ligne, qu’il peut arriver d’un moment à l’autre… Or, je voudrais être nommé employé définitif, puisque aussi bien tout est fini pour M. Fleuriot, à ce qu’on dit, et je soigne mon service, voyez vous !

— Bah ! tu seras « définitif. » J’aurais pu faire tout seul le service, si on avait voulu me payer double ; mais l’administration est si « chienne !… » Enfin, puisque tu lis le journal, vois donc s’il ne s’y trouve pas quelque chose sur notre procès qui se juge en ce moment à Bordeaux… Tu sais ! le procès de Brandin et des autres, qui ont gagné des milliasses de millions à tricher le télégraphe !… Des malins, c’est-à-dire des gueux finis !

— C’est que, monsieur Morisset, répliqua Bascoux avec embarras en se grattant l’oreille, le journal ne parle pas de ça du tout,

— Alors de quoi diable parle-t-il ?