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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Un moment les mésanges qui chantaient dans un buisson voisin, les sauterelles et les cigales qui agitaient leurs crécelles sous la bruyère, firent silence avec effroi ; puis un souflle léger dissipa la fumée de la double explosion. Les oiseaux reprirent leurs chants joyeux, les insectes recommencèrent leur bruissement monotone, et il sembla que rien n’eût troublé le calme de cette solitude.

Cependant deux hommes jeunes, qui peu d’instants au paravant étaient pleins de force et de santé, s’agitaient tout sanglants sur l’herbe, se tordaient dans les convulsions de l’agonie. Cransac avait été atteint à la tête, Fleuriot à la poitrine ; et quoique ni l’un ni l’autre ne fit entendre une plainte, ils n’en paraissaient pas moins également frappés à mort.

Bientôt l’un d’eux ne bougea plus, comme s’il venait de rendre le dernier soupir, tandis que l’autre, se soulevant péniblement sur le coude, promenait autour de lui un regard déjà terne et égaré ; celui-ci était Fleuriot. Il essaya de se mettre debout ; comme il ne pouvait y parvenir, il se traîna sur les genoux et sur les mains vers la valise que recouvrait en partie le corps inanimé de Cransac.

À la suite de longs et douloureux efforts, il atteignit son but, en laissant partout où il passait une traînée de sang. Alors, la tête vacillante, les traits livides, il dégagea la valise par un mouvement convulsif et l’ouvrit. Ayant trouvé le livre des signaux, il poussa un faible cri de joie et le couvrit de baisers.

Ces mouvements divers l’avaient épuisé ; il demeura encore les yeux clos, la poitrine haletante. Mais, comme la vie semblait près de l’abandonner, il se ranima ; réunissant toutes ses forces, toute son intelligence, il prit un crayon dans sa poche et écrivit sur l’enveloppe du livre, en gros caractères :

« À monsieur le directeur général des télégraphes, de la part de raymond fleuriot. »