Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
290
LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— Monsieur de Cransac, reprit enfin Fleuriot, vous m’avez cruellement offensé, et je ne manque pas de motifs pour vous haïr. Mais, comme vous m’avez épargné tout à l’heure, votre générosité éveille la mienne… Consentez à me restituer mon livre des signaux et je vous laisse continuer votre voyage.

Le vicomte sourit avec amertume.

— J’ai commis une action ignoble, il est vrai, répliqua-t-il, mais le seul moyen de la rendre moins odieuse c’est d’en accepter toutes les conséquences. Ce livre que j’ai dérobé, je ne le rendrai volontairement à personne. Vous êtes un brave garçon, monsieur Fleuriot ; et si nous nous étions connus autrefois, quand je n’étais pas encore convaincu que la probité est une sottise, l’honneur une vaine parole, nous nous serions entendus peut-être… Eh bien ! moi aussi j’éprouve pour vous quelque chose qui ressemble à de la pitié, et je veux vous en donner la preuve… Ecoutez : Je passe pour être de première force au pistolet : Renoncez à ce livre, dont vous ne pouvez faire aucun usage, et retirons-nous paisiblement chacun de son côté… Sinon je vous tuerai, je vous tuerai aussi vraiment que le soleil nous éclaire !

Fleuriot se redressa.

— Soit, reprit-il ; mais tant qu’il me restera un souffle de vie… Tirez donc, monsieur ; ou, si vous voulez que les chances soient égales, tirons ensemble.

— Tirons ensemble, répéta le vicomte.

Ils étaient, comme nous l’avons dit, en face l’un de l’autre, immobiles, l’œil fixe et l’arme prête. — Un…, compta lentement Cransac, deux…, trois !…

Au mot trois les pistolets partirent simultanément et l’on n’entendit qu’un coup. La détonation fut bruyante, mais le bruit s’éteignit aussitôt sans écho sur la surface nue de la lande :