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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

l’aviez vu, ce serait rendre service à la société que de m’in diquer…

— Je… n’ai vu… personne, répliqua le soi-disant prêtre en déguisant sa voix.

Mais, malgré ses efforts, il n’avait pu en changer certaines intonations caractéristiques. Fleuriot ne conserva plus de doutes :

— N’essayez pas de me tromper, monsieur de Cransac ! s’écria-t-il ; c’est bien vous et vous ne m’échapperez pas cette fois !

En même temps il s’élança sur le vicomte. Mais celui-ci avait prévu le mouvement ; il se leva d’un bond, esquiva adroitement l’attaque, et appuya un pistolet sur le front de Fleuriot.

Un mouvement de doigt et c’en était fait du brave et honnète employé. Lui-même, dans une perception rapide comme l’éclair, eut conscience de la grandeur du péril et donna une pensée à Dieu.

Cependant le coup attendu ne partit pas. Le vicomte, relevant la main, reprit avec un accent solennel :

— Vous m’avez sauvé une fois la vie dans une partie de chasse, monsieur Fleuriot, et je ne l’oublie pas. Maintenant nous sommes quittes, et aucun scrupule ne peut plus m’arrèter. Vous avez vos pistolets sans doute, comme moi j’ai les miens ; mettons-nous à dix pas l’un de l’autre, et chacun de nous tirera à sa fantaisie… Cela vous convient-il ?

— Oui, répliqua Fleuriot ; mais ne cherchez plus à vous enfuir comme hier au soir.

— Je n’y songe pas… Il faut en finir, et l’un de nous restera ici.

Tout en parlant, il s’éloignait à reculons. Bientôt les deux adversaires se trouvèrent à une dizaine de pas l’un de l’autre et s’arrêtèrent. Chacune de leurs mains était armée d’un pistolet ; cependant ils ne se hâtaient pas de faire feu.