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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

les expéditeurs de nouvelles seront bien attrapés ; je vais me rendre à la Teste-de-Buch, où je m’embarquerai pour l’Espagne… et un gouvernement étranger, quel qu’il soit, me donnera bien cent mille écus de ce livre, dont je ne saurais désormais tirer profit en France.

Il se leva pour faire ses préparatifs de départ. Néanmoins, avant de songer à rattraper sa monture, il examina de nouveau avec sa lunette la route sablonneuse qui s’étendait à perte de vue. Deux formes mobiles apparaissaient à plus d’une lieue de là. Bientôt il constata, malgré la distance, que ces formes étaient des cavaliers, et que ces cavaliers avaient l’habit bleu et rouge et le chapeau galonné des gendarmes départementaux. Cependant cette découverte ne parut pas l’alarmer.

— Bah ! ces braves gens ne songent pas à moi, reprit-il d’un ton léger ; ils chevauchent sur le grand chemin pour leur service ordinaire, et, si nous venons à nous rencontrer, ils ôteront respectueusement leur chapeau à ma soutane noire.

Cransac poursuivit son examen, mais lorsque sa lorgnette s’arrêta sur l’endroit où les deux routes se cou paient, il changea brusquement de contenance.

Là venait de se montrer un cavalier en bourgeois, dont la présence, en effet, était de nature à le préoccuper. L’éloignement ne permettait pas de distinguer encore le costume et les traits du voyageur ; mais il portait un chapeau de paille que Cransac avait vu dans une circonstance récente ; et d’ailleurs un certain pressentiment disait au faux abbé que le cavalier en question ne pouvait lui être indifférent.

— Ne serait-ce pas encore cet enragé Fleuriot ? mur mura-t-il avec anxiété ; mais comment se trouve-t-il là ? Il est bien autrement redoutable pour moi que tous les gendarmes de la terre, et, s’il savait quelque chose, s’il m’avait