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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

tion de voir la vieille faire un signe affirmatif. Comme c’était là ce qu’il lui importait surtout de savoir, il remercia la bonne femme et piqua son cheval. Quant à elle, après l’avoir regardé un moment s’éloigner, elle se signa de nouveau comme si elle eût redouté quelque maléfice, même d’un prêtre, et continua d’avancer dans une direction opposée.

Du reste, le voyageur n’alla pas loin. Sa monture, qui, nous l’avons dit déjà, n’était pas des meilleures, butait à chaque pas sur cette abominable route de bois. Il était urgent de lui accorder un peu de repos et de lui laisser prendre quelque nourriture, d’autant plus que la chaleur devenait accablante. Le cavalier, de son côté, éprouvait des besoins analogues, et, certain de ne pas s’égarer, il ne paraissait plus avoir les mêmes motifs d’accélérer son voyage. Aussi, comme il n’y avait aucune apparence d’habitation, résolut-il de faire halte dans un bouquet de pins situé à quelques pas de la route. Là, il débarrassa la pauvre bête fatiguée de la selle et de la valise qui l’écrasaient ; puis, lui ayant entouré les jambes avec la bride pour l’empêcher de s’écarter, il la lâcha sur la lande, où poussait çà et là une herbe fine et drue.

Pour lui, il s’étendit à l’ombre des arbres, auprès de son bagage, et, tirant d’une sacoche des provisions de bouche achetées en passant dans quelque village, il se mit à déjeuner.

Une heure se passa. Le cavalier et sa monture avaient eu tout le temps de se livrer à leur appétit. Le maître, ayant fini le premier, se laissait aller à une profonde rêverie, non sans promener de temps en temps un regard inquiet sur le chemin de bois qu’il avait à suivre et sur la route beaucoup plus fréquentée qu’il venait de quitter. Comme ses yeux parcouraient ainsi une immense étendue, il lui sembla voir quelque chose se mouvoir à l’horizon sur le ciel éblouissant de lumière. Il tira de sa poche une élégante lunette de spectacle, objet bien mondain pour un prêtre campa-