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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

obstacles continuels épuisaient ce qui lui restait de vigueur.

L’ecclésiastique, tout en maintenant sa monture d’une main ferme, promenait son regard sur la plaine. Un troupeau de moutons étiques paissait à une courte distance, sans que l’on aperçût ses gardiens. Cependant le voyageur finit par distinguer, à l’ombre de quelques chênes-liéges, deux jeunes pâtres, drapés dans leurs manteaux à capuchon malgré la chaleur, et montés sur des échasses si hautes que leur tête atteignait les premières branches des arbres. Adossés au tronc, ils tricotaient des bas de laine pour passer le temps. Quoiqu’ils fussent côte à côte, ils n’échangeaient pas une parole et laissaient à leurs chiens la surveillance du troupeau.

Le voyageur, arrêtant son cheval, les appela d’un signe auprès de lui, mais ils n’eurent pas l’air de l’entendre et ne bougèrent pas. Alors il éleva la voix et leur demanda où conduisait le chemin. Les pâtres landais gardèrent le même silence ; n’eût été l’agilité de leurs mains qui tricotaient toujours, on eût pu croire qu’ils faisaient corps avec les arbres auquels ils s’appuyaient. Poussé à bout, le curé campagnard sauta lestement à terre, attacha sa monture à un vieux genêt qui bordait la route, et se dirigea vers eux.

À mesure qu’il approchait, ces statues semblaient s’ani mer. D’abord le travail des doigts fut interrompu et les bas disparurent comme par enchantement dans les poches des justaucorps. Puis chacun des deux Landais saisit la longue perche qui leur sert d’arme et de support quand ils sont montés sur leurs « canques. » Le voyageur ne s’effraya pas de cette attitude menaçante, et il eut raison, car, lors qu’il fut à quelques pas seulement des pâtres, ceux-ci, toujours sans échanger une parole, sans pousser un cri, se mirent à détaler en faisant d’énormes enjambées avec leurs échasses. Les moutons et les chiens les suivirent, les uns en aboyant, les autres en bêlant, et toute la caravane s’é-