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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

mais, par malheur, il n’avait pas d’éperons, et la baguette dont il était armé ne produisait aucun effet sur la croupe de la bête rétive.

La route qu’il avait suivie jusqu’à ce moment, sans être de premier ordre, paraissait assez importante, et, outre les passants dont nous avons parlé, il y rencontrait de temps en temps quelques rouliers, quelques voiturins étrangers au pays. Mais bientôt il atteignit un chemin latéral qui, coupant le premier à angle droit et s’enfonçant dans la partie la plus déserte des landes, semblait se diriger vers les dunes et vers la mer ; ce fut celui-là que prit le prêtre campagnard, après quelques hésitations et non sans avoir plusieurs fois regardé derrière lui.

Ce chemin avait un caractère particulier. Il était composé de poutres de sapin grossièrement équarries, et juxtaposées de manière à former un pavé de bois. Ces sortes de voies de communication, aujourd’hui encore très-usitées en Russie, étaient alors communes dans les landes de Gascogne, et peut-être en trouverait-on de nos jours quelques exemples. Celle-ci, du reste, semblait fort mal entretenue, et par suite fort dangereuse ; avant de s’y engager on pouvait se demander s’il ne serait pas plus prudent de marcher dans les sables, dût-on en avoir jusqu’à mi-jambes. Les roues des charrettes, les pieds des bestiaux avaient tracé dans le bois de profondes ornières. En beaucoup d’endroits les poutres, disjointes par les pluies, laissaient de larges crevasses où les chevaux risquaient de se briser les membres en cassant le cou à leurs cavaliers.

Aussi ne fut-ce pas sans une certaine hésitation, comme nous l’avons dit, que le prêtre voyageur se hasarda dans cette route périlleuse ; encore, après avoir fait une centaine de pas, parut-il éprouver le besoin de se renseigner sur la direction à suivre. Son cheval donnait lui-même de fréquentes marques de mauvaise volonté en marchant sur ce sol retentissant, tout semé d’aspérités et de trous, car ces