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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

nos avantages, et notre « opération » se trouve radicalement ruinée. Quant à la loterie, les embarras sont plus grands encore. On ne peut, à chaque tirage, gagner un terne ou un quaterne sans éveiller l’attention et l’envie. J’ai beau charger du soin de prendre les numéros diverses personnes qui ne se connaissent pas, tenir autant que possible dans l’ombre les noms des gagnants ; certains bruits transpirent et peuvent me compromettre. Les choses en sont venues à ce point que j’hésite à poursuivre un gain tant soit peu sérieux, de peur d’aggraver les soupçons. Enfin vous savez que la loterie, d’après la loi, ne tardera pas à être supprimée ; elle est, dès à présent, la plus précaire de nos ressources.

Colman avait raison au fond, bien qu’il exagérât certaines difficultés ; aussi Cransac ne répondait-il pas. Le banquier reprit, en versant du vin doré sur un morceau de glace transparent comme du cristal :

— Peut-être aussi, vicomte, connaissez-vous le plus grand de tous les dangers qui menacent notre entreprise… N’avez-vous pas reçu récemment des nouvelles de Brandin, l’employé de Paris que vous avez eu l’art de séduire et qui vous envoie quotidiennement les signaux dont vous me transmettez la traduction ?

Hector fit un bond sur son siége.

— Brandin, répéta-t-il, on vous a parlé de Brandin ? Colman riait en sirotant son vin à la glace.

Pensez-vous donc que je n’aie pas aussi ma petite police ? poursuivit-il. Or, ce Brandin, pour exécuter les conventions conclues entre vous et lui, est dans la nécessité de faire fréquemment certains signaux, qu’on attribue à l’inattention ou à l’incapacité. On ne soupçonne pas encore la vérité ; mais ses prétendues bévues irritent violemment ses chefs, et il est menacé de révocation ; or, si cet homme perdait sa place, nos combinaisons iraient à tous les diables… Qui sait même si l’employé destitué, pour