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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— Maladresse ! répéta le Marseillais ! en fronçant le sour cil ; prenez donc garde à gonverner droit, le terrien, car un matelot n’aime pas qu’on le bouscule ainsi !

Et pourtant, je vous le répète, n’est-il pas clair comme le jour que vous êtes tombé dans un piége ? Ne comprenez-vous pas que cet irrésistible sommeil a pour cause une drogue que l’on a glissée dans le vin ?

— Bagasse ! que me dites-vous là ?

Fleuriot lui remontra le ridicule et l’odieux de sa conduite avec vivacité, et le brave Marseillais finit par être de son avis.

— C’est vrai, ami soldat, reprit-il ; je me suis laissé entortiller comme un novice… Mais je démolirai le Ponentais à la première occasion, foi de matelot !

— Il y a un autre moyen de se venger de lui, mon cher Jacques Rouget ; et, si vous voulez me croire…

— Tron de Diou ! je vous crois.

— Conduisez-moi donc à l’instant chez Bras-de-Singe ; le Ponentais doit y être rentré maintenant, et nous ne pouvons manquer de l’y trouver.

— Ça va !… Mais, comme c’est lâche de se mettre deux contre un, nous lui en donnerons chacun à son tour… Je commencerai, si vous voulez… Voyons, naviguons-nous de conserve ?

— Etes-vous remis, et pourrez-vous marcher ?

— Pardi !… Ferme sur la quille comme un vaisseau de quatre-vingt-dix ! Votre excellent café m’a radoubé à neuf depuis le fond de cale jusqu’à la pomme de girouette.

— Alors partons.

Fleuriot prévint la servante que peut-être il rentrerait tard dans la nuit ; puis, prenant Jacques par le bras, il l’entraina hors de la maison.

En ce moment les quartiers de la ville, si animés pendant le jour, commençaient à devenir solitaires. Les deux amis marchaient très-vite. Ils atteignirent bientôt l’extrémi-