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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Le matelot, par instinct de buveur, se redressa tout à coup et allongea le bras comme pour saisir un verre. Ce fut l’énorme bol que Raymond lui mit à la main, et le Marseillais le porta à ses lèvres, sans même s’apercevoir qu’on dirigeait avec adresse tous ses mouvements. Cependant, après avoir avalé les premières gorgées du mélange, il parut le trouver à son goût, et poursuivit sa tâche d’une manière plus ferme. Enfin il vida gaillardement le vase, le déposa sur la table, et dit en faisant claquer ses lèvres :

— Tron de l’air ! voilà un excellent chasse brouillard. Fleuriot l’examina de nouveau : l’œil du marin repre nait déjà son éclat. Au bout de quelques minutes, Jacques n’eut plus aucune velléité de sommeil et recouvra complétement l’usage de ses facultés.

Alors Fleuriot lui demanda avidement ce qui s’était passé depuis le matin, et le Marseillais, après quelques hésitations, car certains souvenirs étaient encore confus, lui raconta à peu près ce qui suit :

Pendant la journée, il s’était rendu dans diverses maisons, qu’il avait indiquées lui-même à Cransac comme le refuge ordinaire des marins déserteurs ou ayant maille à partir avec la justice. Nulle part on n’avait pu lui donner de nouvelles de son « Ponentais, » lorsqu’il était arrivé chez le père Michonet, dit Bras-de-Singe, le plus adroit et le plus expérimenté de ces recéleurs d’hommes, dans la bonne ville de Bordeaux.

Michonet qui avait été un peu marin, un peu contrebandier, tenait un cabaret borgne dans une rue écartée du quai de Bacalan. À cette industrie il joignait celle de maquignon et de brocanteur de chevaux ; mais la source principale de ses bénéfices semblait ètre dans l’hospitalité qu’il accordait aux marins déserteurs et même à certains malfaiteurs de la pire espèce.

Jacques Rouget se fit reconnaitre du maître du logis, car, s’il faut le dire, il avait eu besoin autrefois de chercher chez