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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— Voyons, Cransac, soyez donc raisonnable, que diable ! répliqua le banquier en reprenant son ton de bonhomie ordinaire ; serait-il prudent ou même possible d’établir une comptabilité régulière pour de semblables opérations ? J’ignore moi-même ce que vous demandez. Morbleu ! je ne vous ai jamais refusé d’argent ; je suis prêt à vous en donner encore… Je vous ai remis plus de dix mille francs par mois depuis que vous êtes à Bordeaux, et ce n’est pas ma faute si vous menez si grand train…

— Monsieur Colman !

— Vous voulez dire que cela ne me regarde pas ? c’est vrai ; mais à présent que vous m’avez fait connaitre vos griefs, ne me permettrez-vous pas de vous présenter certaines observations à mon tour ?

Hector se renversa sur le divan et, sans répondre autrement, prit l’attitude de l’attention.

— Notre affaire, vicomte, poursuivit le banquier, n’a pas donné les résultats que nous pouvions espérer. Il ne serait pas prudent de gagner toujours à la bourse, et il faut savoir de temps en temps accepter des pertes. D’ailleurs les écarts entre la hausse et la baisse sont parfois très-peu considérables, les différences presque nulles. Cependant, malgré ma réserve, les spéculateurs commencent à se défier de moi et à s’étonner du bonheur constant de mes opérations financières. Des rumeurs vagues se répandent ici. On assure que, par un moyen inconnu mais certain, il est possible de savoir immédiatement à Bordeaux le cours des fonds publics à Paris ; on parle de pigeons messagers, de télégraphie particulière, que sais-je ? Bref, on va demander au gouvernement d’envoyer chaque jour par voie télégraphique la cote de la bourse de Paris à Bordeaux, où elle sera affichée publiquement ; sans aucun doute vous avez entendu parler de ce projet ?

Cransac fit un signe de tête affirmatif.

— Si on y donne suite, continua Colman, nous perdons