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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

yeux grand ouverts. Leurs visages se touchaient presque et leurs haleines se confondirent pendant quelques secondes. Enfin l’employé du télégraphe se souleva brusquement, et, saisissant son adversaire par le collet, il lui dit d’une voix sourde :

— Misérable ! qu’avez-vous fait de mon livre… le livre des signaux que vous m’avez dérobé ? Où est-il ! Rendez-le moi ou je vous tue !

Il écarta le caban du vicomte, mais un examen rapide lui permit de s’assurer que Cransac n’avait pas en ce moment le précieux manuscrit. Du reste, Cransac ne s’opposa pas à ces recherches ; il se contenta de dire avec un accent de souffrance :

— Doucement…… doucement donc ! J’ai tous les os brisés.

— Vous allez me suivre pourtant ! reprit Fleuriot, en se levant et en essayant de remettre Cransac sur pied. Je ne vous quitte plus…… Il faut me conduire à l’endroit où vous avez caché mon livre, car vous l’avez, j’en suis sûr !

Le vicomte, avec de douloureux efforts, était parvenu à se redresser, mais il semblait incapable de faire un pas et s’appuyait contre la muraille. Son adversaire avait trop d’humanité pour ne pas lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Cependant Fleuriot ne le lâchait pas, et ils restèrent encore côte à côte, pendant quelques secondes, sans pro noncer une parole. Bientôt le vicomte dit avec un accent singulier :

— Pauvre imbécile d’honnête homme, pourquoi me faites-vous la guerre ? Ne vaudrait-il pas mieux nous en tendre ? Je vous rendrais riche !… Votre probité n’est que duperie.

— Soit, j’aime mieux être dupe que… Mais vous convenez donc que vous m’avez volé mon livre ? Alors où l’avez vous caché ? Il faut me le restituer !… Allons, vous pouvez marcher maintenant.