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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

la devanture vitrée, et feignit de s’absorber dans la lecture d’un journal, bien qu’en réalité ses regards ne se détournassent pas un instant de la maison voisine.

Il était encore de bonne heure et les bureaux de Colman n’étaient pas ouverts. On vit successivement arriver les employés petits et grands de la maison de banque ; plusieurs même firent au café un modeste déjeuner, mais ils ne parlaient qu’à voix basse et se retirèrent aussitôt après leur repas. Puis, les clients du spéculateur commencèrent à se montrer ; à l’heure de la bourse surtout, l’affluence était considérable. Fleuriot observait ces gens affaires, appartenant à toutes les conditions ; mais il avait beau redoubler d’attention, il n’apercevait pas un visage qui lui rappelât de près ou de loin celui d’Hector de Cransac.

De longues heures s’écoulèrent ainsi, et l’employé du télégraphe s’impatientait. S’il n’eût pas su quel puissant intérêt avait Cransac à voir le banquier, il eût déserté son poste, et dirigé ailleurs ses recherches. Il s’étonnait aussi que Jacques Rouget ne vint pas le joindre. Frappé d’inaction dans ce moment de crise, il était en proie à une anxiété qui allait toujours croissant.

Du reste il n’avait pas tardé à reconnaitre que d’autres personnes encore faisaient le guet devant l’hôtel Colman. Certains individus, d’âges et de costumes différents, rôdaient sans cesse autour de la maison. Dans le café même, à une table isolée, il y avait un petit vieux, en bonnet de soie noire, qui jouait aux dominos avec un autre homme ayant l’apparence d’un bon bourgeois. Ceux-ci étaient arrivés à peu près en même temps que Fleuriot et semblaient s’être installés à demeure comme lui, Bientôt plusieurs des rôdeurs de la rue entrèrent l’un après l’autre et demandèrent des rafraichissements. Ils n’avaient pas l’air de connaître le petit vieux en bonnet de soie noire et son compagnon ; cependant Fleuriot surprit à diverses reprises certains signes, et même certaines paroles rapides, échangés entre