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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

dit Bras-de-Singe, et je suis sûr de lancer ma gaffe au bon endroit. Eh bien ! voyons, ajouta-t-il en se levant résolûment, venez-vous avec moi ? Bras-de-Singe a du tafia qui vous râpe fort gentiment la pomme du gosier.

Malgré les séduisantes promesses de Jacques, Fleuriot ne voulut pas l’accompagner. Il se souvenait que Cransac s’était rendu à Bordeaux uniquement pour voir Colman, et il importait de faire le guet pendant tout le jour aux abords de la demeure du banquier. Or Raymond tenait à s’acquitter lui-même de cette délicate besogne.

Aussi insista-t-il pour que Jacques Rouget allât seul, en lui recommandant de ne pas dire un mot, faire un geste qui pût exciter la défiance du prétendu « Ponentais, » s’il venait à le rencontrer. Dans ce cas, le matelot devait s’empresser de rejoindre Raymond à un café situé en face de l’hôtel Colman, et tous les deux alors agiraient de concert. S’ils n’avaient pas l’occasion de se réunir dans la journée, ils devaient se retrouver le soir pour le diner que Fleuriot commanda sur-le-champ. Ces arrangements pris, les deux nouveaux amis s’éloignaient déjà, chacun de son côté, quand Fleuriot remarqua une légère hésitation dans la marche du Marseillais.

— Eh ! camarade, cria-t-il avec inquiétude, prenez garde au tafia du père Bras-de-Singe.

Gnia pas de soin, répliqua Jacques résolûment, à pas peur ! Si je rencontre le Ponentais, je te l’amène par une oreille… S’il ne ne veut pas venir, je te le casse… tron de l’air !

Et il partit sans écouter Fleuriot, qui l’exhortait à la prudence.

Fleuriot se rendit bien vite à l’endroit où il comptait se mettre en observation. C’était, comme nous l’avons dit, un café situé devant la principale porte de l’hôtel où demeurait Colman. De là on pouvait voir tous ceux qui entraient chez le banquier ou qui en sortaient. Raymond s’installa près de