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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— Pardieu ! fallait-il faire dresser un acte de société en règle et par-devant notaire ?

— Non, sans doute ; mais cette précaution est le point de départ d’un système de défiance que je vous vois mettre en œuvre contre moi depuis le commencement de nos opérations. En public, nous paraissons ne pas nous connaitre ; c’est de loin, et par la couleur blanche ou noire de mes gants, que je vous apprends à la Bourse la hausse et la baisse des fonds à Paris ; je dois multiplier les précautions pour vous glisser la liste des numéros sortis à la loterie. Je ne possède pas un acte, un reçu, une simple lettre signés de votre main ; sans doute mon nom ne figure pas une seule fois sur votre registre de comptabilité, et quand vous êtes venu chez moi, ce n’a jamais été que le soir et en une compagnie qui ne permettait pas de supposer des relations commerciales. Croyez-vous que je ne voie pas où tend cette injurieuse tactique ? On veut, en exploitant ma lucrative découverte, avoir toute facilité pour me désavouer au besoin ; on veut, après m’avoir laissé une part à peu près nulle dans les avantages, rejeter sur moi toute la responsabilité, tout le péril… Mais cela ne vous réussira pas, monsieur Colman ; j’ai pris aussi mes précautions… Si donc il arrivait une catastrophe, si le vicomte Hector de Cransac devait comparaître devant une cour d’assises et être envoyé au bagne, il aurait pour complice sur la sellette des accusés, pour compagnon de chaîne à Brest ou à Toulon, le haut et puissant millionnaire M. Frédéric Colman, je vous en donne solennellement ma parole !

Malgré son flegme habituel, le banquier hambourgeois tressaillit et devint très-pâle. Il répondit, en essayant de raffermir sa voix :

— Ah ! des menaces ?

— Pas encore, monsieur, mais un avertissement… Pour le moment, il ne s’agit que de nos comptes ; êtes-vous prêt à me les soumettre ?