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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

côtelettes fumantes placées devant son compagnon de table, celui-ci lui dit avec une apparente cordialité :

— Tenez, camarade, j’aime les Marseillais parce qu’ils accueillent bien les soldats… Voulez-vous déjeuner avec moi ? Ce n’est pas jour maigre aujourd’hui pour se contenter d’un hareng… Allons, ça va-t-il ?

— C’est-il vous qui payez ? bagasse !

— Parbleu ! et avec le vin, le café, le pousse-café… et tout.

— Alors ça va.

Aussitôt le matelot jeta de côté sa maigre pitance et fit honneur au repas beaucoup plus délicat de son hôte. Fleuriot demanda un fort supplément à la cabaretière, car le Marseillais, loin de se contenter d’un déjeuner pour deux, paraissait de force à engloutir deux déjeuners à lui seul.

Il y eut un moment de silence. Fleuriot sentait la nécessité de n’aborder qu’avec d’extrêmes précautions le sujet dont il était occupé. Du reste, son nouvel ami, sans cesser d’avaler les morceaux quatre à quatre, finit par songer qu’il devait au moins payer son écot en amabilité.

— Eh bien ! voyez-vous, le soldat, reprit-il la bouche pleine, vous êtes un luron après tout ! Moi, je n’ai jamais beaucoup aimé les terriens, parce que… enfin suffit. Mais ils ont du bon, tron de l’air ! Je casserai les reins à qui soutiendra le contraire.

L’amphitryon se montra flatté de cette reconnaissance enthousiaste.

— À votre tour, vous me faites l’effet d’un bon diable, reprit-il afin de rendre politesse pour politesse ; mais comment vous appelez-vous ?

Jacques Rouget, né natif de Marseille. Moi aussi j’ai été en Algerre, tout comme un autre, et je n’en suis pas plus fier pour ça. En dernier lieu, je me suis embarqué à la Ciotat comme gabier à bord de la Marie-Jeanne, qui allait porter au Havre une cargaison de raisins secs et de poires