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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

d’apercevoir le marin marseillais qui, le jour précédent, était arrivé avec le vicomte.

Son premier mouvement fut de s’assurer si Cransac lui-même était dans la salle. Cransac n’y était pas, mais le Marseillais, assis seul à sa table, avait devant lui une place vide. Ne se pouvait-il pas que cet homme attendit son compagnon de la veille ? Fleuriot s’approcha et demanda d’un ton dégagé : — Eh ! l’ami, cette place est-elle retenue et peut-on la prendre ?

— Bagasse ! répliqua le Marseillais, qui déjeunait d’un quignon de pain et d’un hareng saur, prends-la si tu veux… Je n’attends personne.

C’était ce que Fleuriot désirait savoir, et il s’attabla en face du matelot. Puis, la cabaretière s’étant approchée, il commanda un déjeuner aussi confortable que le permettait la pauvre cuisine du lieu.

Le Marseillais, tout en grignotant son pain frotté d’ail, jeta un coup d’ail d’envie sur ce nouveau venu dont l’ordinaire était si somptueux. Fleuriot, prit la mine la plus indifférente du monde, et dit, comme par désœuvrement :

— Eh ! camarade, n’êtes-vous pas de Marseille ?

— Comment connaissez-vous cela ? répliqua l’autre avec uu naïf étonnement : eh bien ! quand cela serait ? Il n’y a pas d’affront, peut-être !

— Certainement ; c’est-que, voyez-vous, moi j’ai passé par Marseille, et c’est une fière ville !

— Tron dé Diou ! serais-tu marin ?

— Non, mais j’ai été soldat ; et je me suis arrêté plusieurs fois à Marseille en allant en Algérie.

La glace ainsi rompue entre les deux hommes, la connaissance devenait facile. La cabaretière, en apportant les mets substantiels commandés par Fleuriot, vint faire diversion à l’entretien. Comme le matelot couvait des yeux les