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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

atmosphère de tabac, de suif et d’eau-de-vie, et il se mit à parcourir les cafés moins repoussants. Du reste il s’arrêtait quelques minutes seulement dans chacun d’eux. Après avoir passé en revue toutes les personnes présentes, il se hâtait de payer l’objet de consommation qu’il s’était fait servir et auquel le plus souvent il n’avait pas touché, puis il se retirait sans bruit.

Pendant ces courtes stations dans les lieux publics de Bordeaux, Fleuriot constata que la ville entière était en rumeur à cause des fraudes auxquelles la transmission des dépêches télégraphiques avait donné lieu. Partout on s’occupait de cette affaire, et, selon l’usage, on en exagérait singulièrement les proportions. On affirmait que les principaux banquiers de la ville étaient compromiş, que plusieurs d’entre eux étaient arrêtés déjà. On parlait de l’arrivée du directeur général des télégraphes, du conseil qui se tenait en ce moment à la préfecture. On attribuait aux abus récemment découverts la fortune de certains gros spéculateurs ; et pourtant, chose étrange ! on ne prononçait plus le nom de Colman, quoiqu’il n’y eût guère de financiers bordelais qu’on n’accusât d’avoir pris part à ces coupables manœuvres.

Aussi Raymond n’accorda-t-il pas beaucoup d’attention à ces propos. Son idée fixe était de découvrir Cransac ; mais, il eut beau parcourir cafés et cabarets, il ne l’aperçut nulle part, et force lui fut de regagner son modeste gite, car il était épuisé de fatigue.

Cependant, le lendemain, il fut debout dès les premières heures du jour, et, s’étant équipé pour sortir, il descendit dans la salle commune de l’auberge, afin de prendre quelque nourriture avant de se mettre en quête.

Dans cette salle se trouvaient déjà plusieurs matelots et ouvriers du port qui déjeunaient ou buvaient leur coup du matin. Fleuriot jeta un regard distrait sur cette foule un pen mêlée, et tout à coup il demeura immobile ; il venait