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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Fleuriot avait songé plusieurs fois en effet qu’il pouvait paraître complice de Cransac, et ainsi s’expliquait comment le directeur, en l’apercevant, s’était cramponné à lui avec tant d’opiniâtreté. Ce ne fut pourtant pas ce soupçon offensant qui l’occupa d’abord ; le nom de Cransac avait réveillé sa haine et sa colère.

— Ah ! monsieur le directeur, répliqua-t-il, que ne m’a vez-vous laissé libre tout à l’heure ! vous auriez bien vu si j’étais de connivenue avec cet infâme vicomte ; je vous l’eusse livré mort ou vif, je le jure !

— Comment ! était-ce Cransac que vous poursuiviez quand je vous ai rencontré ? Il est parti, dit-on, pour Paris en chaise de poste avec une femme qui est associée à ses intrigues.

— Il vient de descendre à l’instant du bateau à vapeur de Blaye : il est déguisé en matelot, et, bien qu’il ait coupé sa barbe et ses cheveux, je l’ai parfaitement reconnu.

— Voilà, Fleuriot, un renseignement précieux, et si ce Cransac est réellement à Bordeaux, la police le retrouvera sans aucun doute… Mais hâtez-vous de justifier votre conduite, car, malgré ma bienveillance pour vous, qui avez toujours été un excellent employé, je vois beaucoup de louche dans cette affaire.

— Je comprends vos soupçons, monsieur, mais vous allez juger combien ils sont peu mérités… Oui, je veux tout vous dire ; les scrupules qui autrefois me fermaient la bouche ne sont plus de saison, quand on en vient à suspecter ma probité et mon honneur. D’ailleurs, ma position irrégulière m’inquiète et me gêne ; il est temps de faire connaître la vérité à un chef juste et bon tel que vous.

— Eh bien ! marchons, et, en nous promenant, vous me conterez cette histoire.

Ils se mirent à remonter le quai à pas lents. M. R*** n’avait pas lâché le bras de Fleuriot, et le retenait au contraire avec force, comme s’il eût craint que l’employé ne