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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

me quitterez pas ainsi… Votre présence à Bordeaux peut donner lieu aux plus fâcheuses interprétations. Mon devoir est donc d’exiger de vous à l’instant même… Il y va de votre place, de votre honneur peut-être.

— Malgré la solennité de cette adjuration, Fleuriot écoutait à peine ; tourné vers l’endroit où les deux matelots venaient de disparaître, il disait avec angoisse :

— Laissez-moi les rejoindre, monsieur R*** ; plus tard vous regretterez… Je vous répète qu’il s’agit du plus haut intérêt.

Le directeur perdit patience :

— Restez, monsieur, je vous l’ordonne, reprit-il avec fermeté ; ne m’obligez pas à employer des moyens pénibles pour obtenir que vous me rendiez compte de vos actes.

Cette fois, Fleuriot sentit la menace dans les injonctions de M. R***. Il comprit qu’il était l’objet des plus outrageants soupçons. Il n’en fallait pas moins pour le décider à abandonner sa poursuite et à répondre aux questions de son chef.

— Allons ! dit-il en soupirant, l’occasion est manquée, et qui sait si je la retrouverai jamais !… Eh bien ! monsieur le directeur, ajouta-t-il d’un ton différent, que voulez-vous de moi ? J’ai quitté sans autorisation ma résidence, je l’avoue ; mais mes camarades étaient prévenus, et le service n’a pas souffert de mon absence.

— J’en conviens. On a bien remarqué, il y a deux jours, vers midi, certaines hésitations, certains tâtonnements dans les maneuvres du télégraphe de Puy-Néré ; mais il n’y avait là aucun caractère frauduleux, comme dans les manæuvres de ce misérable Brandin, dont l’affaire nous cause tant de soucis. Cependant, monsieur Fleuriot, je ne dois pas vous le cacher, votre départ de Puy-Néré concordant avec celui d’un intrigant nommé Cransac, dont on vient de nous annoncer la fuite, est de nature à faire peser sur vous une accusation fort grave.