Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

à tomber en ce moment, il lui sembla encore que la démarche du « Ponentais » était celle d’Hector de Cransac. Cependant Fleuriot hésitait toujours à l’aborder, au risque d’une méprise, quand le matelot se retourna, comme pour s’assurer s’il était suivi, et ses yeux rencontrèrent ceux de Raymond. Il tressaillit d’une manière sensible et reprit sa marche aussitôt à travers la foule. Mais aucun doute n’était plus possible ; Fleuriot avait positivement reconnu Hector de Cransac.

Il s’élança donc en avant pour saisir au collet l’homme qu’il cherchait avec tant d’ardeur depuis deux jours. Comme il allait l’atteindre, il se sentit lui-même retenu par le bras. En même temps on lui dit d’un ton où la surprise se joi gnait à la sévérité :

— Vous ici, monsieur Fleuriot ? Sur ma foi ! je ne m’attendais guère à vous trouver à Bordeaux ! Vous n’avez pas demandé de congé, que je sache.

La personne qui le retenait ainsi était un homme d’un âge mûr, de manières distinguées. Fleuriot reconnut le directeur des télégraphes à Bordeaux, un chef avec lequel il avait été mis en rapport en diverses circonstances par les besoins du service.

S’il était une autorité au monde à laquelle l’employé fût disposé à se soumettre en ce moment, c’était certainement celle-là, d’autant plus que le directeur, homme juste et bienveillant, était chéri de tous ses subordonnés. Cependant Fleuriot essaya de se dégager, et balbutia :

— Je n’ai pas demandé de congé, monsieur R*** ; mais dans l’intérêt même de l’administration… Excusez-moi ; j’irai vous voir, je vous expliquerai… Tenez, tenez, ils vont se perdre dans la foule !

Et, les yeux fixés sur les deux matelots qui continuaient de s’éloigner rapidement, il cherchait à retirer son bras ; mais le directeur ne lâcha pas prise.

— Un moment, Fleuriot, reprit-il d’un ton sec ; vous ne