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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

brun que Cransac. En revanche, c’étaient mêmes traits, même finesse de linéaments, mêmes yeux mobiles sur lesquels l’inconnu avait rabattu son chapeau de marin ; c’était même âge, mêne taille et même tournure. Fleuriot savait combien la disparition de la barbe et des cheveux peut changer une physionomie, combien il est facile de donner au visage une teinte basanée. Cependant il hésitait à reconnaître son adversaire dans ce matelot. Une méprise était possible, et il sentait quels dangers aurait pour lui même une erreur en pareille circonstance.

Comme il était livré à cette perplexité, les deux voyageurs franchirent la planche qui mettait le navire en communication avec le quai, et il entendit le méridional dire à son compagnon :

— Tron dé l’air ! le Ponentais, démarre donc si tu veux que je te remorque à la cambuse où nous devons loger.

L’autre prononça quelques mots inintelligibles, et ils s’é loignèrent rapidement.

Fleuriot n’ignorait pas que les marins de la Méditerranée, auxquels appartenait sans doute l’homme qui venait de parler, donnaient alors le nom de ponentais aux marins de l’Océan.

Il ne pouvait donc exister beaucoup d’intimité entre les deux matelots, et peut-être n’avaient-ils fait connaissance que sur le bateau. Mais une autre circonstance avait frappé Raymond ; quand l’individu qu’il prenait pour Cransac avait passé devant lui, il s’était aperçu que la main de cet homme non-seulement ne présentait pas la teinte bronzée de son visage, mais encore qu’elle était fine, blanche, et ne devait jamais avoir été employée à rouler un cable ou à manier un aviron.

Après s’être assuré par un regard qu’il n’y avait plus à bord du navire à vapeur aucun passager, il quitta son poste et se mit à la poursuite des deux marins. Il se trouva bientôt à quelques pas derrière eux, et, quoique la nuit commencât