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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

et des soldats, d’opulents touristes et de pauvres matelots. Tous s’agitaient, tous se bousculaient pour débarquer, et au milieu de ce remue-ménage quelques-uns pouvaient passer inaperçus.

Fleuriot, posté à l’entrée du pont, examinait pourtant ceux qui sortaient ; ni les poussées ni les cahots ne le déterminaient à quitter cette place, et il ne se détournait qu’après s’être assuré qu’il ne les connaissait pas.

Au bout de quelques minutes, la plupart s’étaient éloignés. Il ne restait plus à bord que des retardataires, passagers de troisième classe que rien ne pressait ou qui avaient à terminer quelque affaire avec les douaniers du port ; mais les passagers de distinction, parmi lesquels l’employé au télégraphe avait espéré rencontrer Cransac, s’étaient déjà dispersés dans toutes les directions.

Malgré cela Fleuriot ne se décourageait pas quand il vit s’engager sur le pont de planches deux hommes, dont un surtout ne tarda pas à fixer son attention. Ils paraissaient appartenir à la marine du commerce ; tous les deux, encore jeunes, avaient la figure brunie par le soleil. Ils avaient à peu près le même costume, gros paletot de drap pilote et chapeau ciré ; enfin chacun d’eux était chargé d’un sac de matelot qui formait tout son bagage. Ils semblaient être ensemble sur le pied d’une égalité parfaite ; cependant, en les observant de plus près, on ne tardait pas à découvrir entre eux des différences notables,

Ainsi, tandis que l’un avait ces allures franches et décidées, ce verbe haut, ce pas ferme, ce regard hardi qui caractérisent les marins de la France méridionale, son compagnon avait un air taciturne, cauteleux, embarrassé même, qui s’alliait mal avec son costume et son apparente profession. Celui-là, et ce fut lui que Fleuriot examina particulièrement, portait les cheveux courts et était complétement rasé, tandis que le vicomte portait d’habitude les cheveux longs et toute sa barbe ; il avait aussi le teint beaucoup plus