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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Il n’eut pas un regard d’admiration pour ce fleuve majes tueux, qui, sous les feux du couchant, embrassait dans un immense croissant d’or l’antique capitale de la Guienne. Il passa indifférent devant cette longue ligne de beaux édifices, devant ces voies magistrales, ces monuments imposants qui s’étendent depuis le pont si renommé jusqu’au quai des Char, trons. Il filait droit devant lui, se heurtant ici à un homme chargé d’un ballot, bousculant plus loin un badaud paisible, et ne s’inquiétant pas des injures qu’on lui adressait en divers idiomes. Il craignait de manquer l’arrivée du bateau de Blaye et précipitait sa marche.

Du reste, il avait raison de se presser, car, lorsqu’il atteignit le débarcadère, il entendit le son d’une cloche lointaine qui se rapprochait rapidement. Cette cloche, placée sur le bateau même, sonnait d’une manière continue pour avertir les navires, qui sillonnaient la rivière en tous sens, d’avoir à se ranger devant le pyroscaphe. Bientôt il apparut lui-même, faisant flotter dans le ciel empourpre son panache de fumée noire.

C’était un bâtiment sombre et massif, comme on les construisait à une époque où cette partie de l’architecture navale était encore dans l’enfance. Malgré sa lourdeur apparente, il se dirigea promptement vers les quais ; bientôt la cloche cessa de sonner, en même temps que le ronflement de la vapeur changeait de nature.

Cinq minutes plus tard, le bateau faisait halte et un pont volant, installé par l’équipage, permit aux passagers de descendre à terre.

Pendant le premier moment, comme il arrive d’habitude, tout fut désordre et tumulte. Les voyageurs se pressaient sur l’étroite planche afin de gagner le rivage, disputant leurs malles aux portefaix et aux garçons d’hôtels qui s’en étaient emparés. Ces voyageurs étaient de tout sexe, de tout âge, de toutes conditions : il y avait d’élégantes passagères et des marchandes de poisson ou de volaille, des négociants