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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

pour les pays étrangers, ou bien gagner Blaye et prendre les bateaux à vapeur qui remontaient la Gironde.

Il n’était pas probable que Cransac, après avoir conquis avec tant de peine le livre des signaux télégraphiques, se décidât à porter sa précieuse conquête hors de France, et on savait au contraire qu’à Bordeaux il en tirerait le meilleur parti. C’était donc bien à Bordeaux qu’il fallait l’attendre ; et Fleuriot, ayant exactement calculé le temps et les distances, comptait que le spoliateur arriverait le soir même par le bateau de Blaye, à moins d’un de ces retards imprévus si fréquents en voyage.

Voilà donc pourquoi l’employé du télégraphe se dirigeait d’un pas rapide vers le débarcadère des bateaux à vapeur. Il était armé de sa canne et n’avait pas oublié de mettre ses pistolets dans la poche de sa redingote. On jugeait à son air de détermination que, si le cas se présentait, il ne manquerait ni de vigueur, ni de courage pour se faire justice.

Il suivit les interminables quais qui longent la rivière. Le soleil allait se coucher. La marée étant haute en ce moment, une extrême activité régnait sur le port et dans les innombrables navires de toutes nations, dont les mâts formaient comme une forêt mobile à la surface du fleuye. Ici on chargeait un bâtiment, plus loin on en déchargeait un autre. D’un côté on se faisait les adieux du départ, de l’autre on se donnait l’accolade de retour. Le rivage était encombré de caisses contenant des marchandises de toutes sortes, autour desquelles s’agitaient des matelots, des portefaix, des hommes noirs, jaunes, cuivrés, venus des extrémités du globe. On entendait les chants des marins qui hissaient des fardeaux à l’extrémité des vergues, les sifflets aigus des maîtres d’équipages ; partout des bruits discordants, des appels fiévreux, bien capables d’attirer l’attention du spectateur le plus distrait et le plus préoccupé.

Mais Raymond Fleuriot, qui était venu souvent à Bordeaux, demeurait indifférent au spectacle de cette agitation.