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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

autoriser la sortie de cette jeune femme, que le hasard a conduite ce soir à mon hôtel.

En même temps il désignait Fanny, qui se tenait dans l’ombre et qui s’était empressée de rejeter son foulard sur sa tête. Le magistrat fit un geste de mépris.

— Comme cette dame, dit-il, me paraît en effet étrangère ici, et comme elle n’a évidemment aucun rapport avec la mission que je viens remplir, elle est libre de se retirer… Je pousserai la condescendance jusqu’à ne pas lui demander son nom.

Il enjoignit à un agent de conduire la jeune femme jusqu’à la rue.

Colman, radieux, se croyait débarrassé déjà d’un de ses plus graves sujets de préoccupation. Fanny s’inclina en silence devant le magistrat, et se disposait à sortir, quand l’homme de police qu’on lui avait donné pour guide se mit à la regarder avec attention et s’écria tout à coup :

— Avec votre permission, monsieur le juge, ne nous pressons pas tant.

Il enleva lestement le foulard avec lequel Fanny cherchait à cacher ses traits.

— Je ne me trompe pas, poursuivit-il ; j’ai vu souvent cette dame quand elle se promenait dans sa belle voiture sur le cours de Tourny, et je la reconnais fort bien, malgré son nouvel habillement. C’est Fanny Grangeret, l’amie du vicomte de Cransac.

L’orgueil offensé l’emporta d’abord chez Fanny sur tout autre sentiment.

— Monsieur le juge, dit-elle, ne sauriez-vous réprimer l’insolence de vos gens ? Est-ce ainsi que l’on traite une femme… qui ignore absolument de quel crime elle peut être coupable ?

— Certains devoirs sont incompatibles avec une exquise politesse… Mais, madame, si l’on a dit vrai, si vous êtes en effet la personne que l’on vient de nommer…