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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

besoin de personne pour mes grandes opérations financières ; j’agirai seul, et…

— Il s’arrêta en voyant Fanny le regarder fixement. Avec vous, je pense tout haut, charmante, ajouta-t-il, et je n’aurai pas lieu de m’en repentir, je le sais.

— Vous pouvez en effet avoir confiance en moi, monsieur Colman : mais je vous conseille en amie de ne pas autant laisser voir au vicomte le prix que vous attachez à ce manuscrit ; on n’est déjà que trop disposé à vous rançonner.

— J’ai promis de le payer deux cent mille francs. Il vaut bien davantage pour vous, et Cransac ne l’ignore pas. Attendez-vous donc à voir croître ses exigences en raison du désir que vous témoignerez de posséder ce livre… Mais ce qu’il y a de plus indigne, monsieur Colman, c’est que le vicomte s’était engagé formellement à partager avec moi le produit de cette affaire, c’était justice, car sans moi il n’aurait pu la mener à bien. Or, il va manquer à sa parole, et je vous saurai gré, monsieur Colman, ajouta Fanny d’un air câlin, de trouver quelque moyen pour l’obliger à la tenir.

— Le gros banquier partit d’un éclat de rire. Eh ! eh ! ma toute belle, reprit-il, je commence à voir d’où souffle le vent… Ce n’est pas seulement pour m’avertir d’un danger que vous êtes venue ce soir ; vous avez encore à mettre opposition sur la somme assez ronde que pourra réclamer le vicomte… Eh bien, ma chère, ajouta-t-il en minaudant, j’ai toujours eu du penchant pour vous, malgré vos airs évaporés, et puis je ne serais pas fâché de donner une leçon à cet orgueilleux Cransac, qui semble ne voir en moi qu’un gros cruchon de bière allemande… Que diriez-vous si je combinais les choses de ma nière à ne payer qu’à vous la somme promise ?

— Oh ! ce serait un trait de génie ! Mais l’œuvre présentera bien des difficultés, car le vicomte est défiant.