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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— L’ignorez-vous, monsieur Colman ? demanda Fanny. Je croyais que vous pourriez m’en donner des nouvelles… Cransac ne saurait sans inconvénient se montrer à Bordeaux… et moi-même j’ai cru prudent de me déguiser…

— Ce costume vous va divinement, dit le banquier en la faisant asseoir à son côté ; mais, bon Dieu ! que pouvez vous craindre ?

— Ah cà ! monsieur Colman, vous n’avez donc pas la moindre idée de ce qui se passe ? Vous ignorez jusqu’aux dangers que vous courez vous-même ?

— Des dangers, moi ? contez-nous ça, ma toute belle ; cela promet d’être divertissant.

— Ainsi vous ne savez rien… absolument rien ?

— Eh ! eh ! j’ai pu avoir eu vent de quelque chose… Mais contez toujours, ma charmante ; on a plaisir à vous entendre.

Alors Fanny lui exposa les événements de Puy-Néré ; elle parla de l’arrestation de Brandin, de la soustraction du livre des signaux, de la dépêche expédiée à Bordeaux pour ordonner l’arrestation de Cransac « et de ses complices ; » puis de l’abandon où l’avait laissée le vicomte ; et enfin de sa rencontre avec Raymond Fleuriot. Toutefois, elle se garda bien de mentionner les renseignements qu’elle avait donnés à Fleuriot sur Colman lui-même, dans un premier mouvement de terreur et de colère. Fanny, avec son ésprit mobile, subissait d’ordinaire l’impression du moment, et quoique en définitive les instincts artificieux finissent toujours par l’emporter, elle ne savait souvent pas retenir des aveux qu’elle avait à regretter plus tard. Elle ne fit donc aucune allusion à ses indiscrétions envers l’employé du télégraphe, bien que ces indiscrétions constituassent peut-être le risque le plus sérieux pour le banquier.

— Je suis arrivée ici hier, poursuivit-elle, et, après avoir laissé la voiture dans une auberge, je suis allée’me loger dans une autre, où l’on me prend pour la femme d’un ca-