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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— On y va, monsieur, on y va, répliqua la vieille ; c’est sans doute la dame que vous attendez.

Elle partit en toussant. Arrivée à la porte dont la garde lui était confiée, elle s’assura d’abord par un étroit guichet que la personne qui se présentait éiait une femme seule ; puis elle fit tourner la clef dans la serrure, et, tenant la porte entr’ouverte avec défiance, elle examina de nouveau à qui elle avait affaire.

Mais sa curiosité fut déçue ; la nuit était sombre et la ruelle était faiblement éclairée par un réverbère éloigné. D’ailleurs, l’inconnue avait pris la précaution de poser sur sa tête un de ces foulards dont se coiffent habituellement les Bordelaises, et elle le maintenait sous son menton avec la main, pour cacher son visage. À la question de la Bourachon, elle nomma le maître du logis, puis elle prononça quelques mots mystérieux connus seulement des initiés.

— Fort bien ; vous pouvez entrer… Faut-il vous conduire ?

— C’est inutile.

Et l’inconnue s’élança dans le jardin ; avant que la vieille concierge eût refermé la porte, elle avait déjà disparu.

En dépit de l’obscurité, elle parcourut les allées d’un pas léger, et atteignit bientôt le pavillon, dont les fenêtres laissaient filtrer quelques rayons lumineux. Ayant doucement gratté à la porte, elle entra conme une bouffée d’air frais et parfumé, dans la pièce où se trouvait Colman, entouré d’un nuage de tabac. Alors, elle enleva prestement le foulard dont elle s’enveloppait, et se montra sous le costume d’une svelte et pimpante grisette : c’était Fanny.

Colman, en la reconnaissant, triompha de son flegme germanique ; il mit sa pipe de côté, se leva lestement, et, s’avança vers la visiteuse avec toutes les apparences de la joie.

— Charmante ! lui dit-il, je suis ravi de vous voir… Mais qu’est devenu le vicomte ?