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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

grande dame, peu importe, qui te donnera le mot de passe ordinaire. Tu l’introduiras sans lui adresser de questions, et quand elle sera avec moi tu ne laisseras plus entrer per sonne… personne, m’as-tu bien compris ?

La vieille fit entendre un rire asthmatique et chercha une prise de tabac dans sa tabatière de corne.

— Eh ! eh ! monsieur notre maître, répliqua-t-elle avec son accent gascon, tandis que ses yeux éraillés clignotaient de malice, nous la connaissons cette consigne-là, car il y a assez longtemps que nous la pratiquons… Oui, oui, il n’y a rien de nouveau ce soir, et il valait mieux me dire que l’ordre était comme à l’ordinaire.

Colman lui imposa silence par un geste qu’il essayait de rendre digne.

— Je te trouve bien hardie, madame Bourachon, reprit il, d’oser parler ainsi des personnes qu’il me plaît de recevoir ! Elles ne sont pas, ajouta-t-il d’un air bénin et hypocrite, ce que tu as l’air de croire… Elles appartiennent souvent au meilleur monde ; mais, ayant des besoins d’argent et n’osant se présenter dans les bureaux, elles viennent contracter quelques prêts timides. Je suis leur Providence, et je m’efforce de cacher le bien que je fais… Voilà tout, mère Bourachon ; il n’y a pas autre chose, et je te defends, entends-tu, de supposer qu’il peut y avoir autre chose.

— C’est bon, répliqua la Bourachon avec plus de réserve, mais sans renoncer complétement à son ton sarcastique ; il n’est pas moins vrai que si une pauvre vieille personne telle que moi venait vous emprunter ainsi quelques louis, faudrait voir comme vous la recevriez !

— Parbleu ! je ne la recevrais pas… Mais c’est assez ; mère Bourachon, allez à vos affaires et laissez-moi aux miennes, car aussi bien je crois avoir entendu tinter la son nette de la petite porte.