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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

gestions de M. de Cransac, je n’avais pour vous que des in tentions bienveillantes, et j’espérais…

— Vous, madame, vous avez été l’appeau qui fait tomber l’oiseau sauvage dans le filet de l’oiseleur, et moi, pauvre niais orgueilleux, j’ai pu croire un instant… Mais vous ne m’échapperez pas ainsi. Encore une fois, quel intérêt avait ce M. de Cransac à s’emparer de mon manuscrit ?

— Mais… je l’ignore, répondit Fanny en détournant la tête.

— Vous l’ignorez ? Prenez garde, madame, que je ne saurais plus croire à de simples affirmations de votre bouche… Je connais toute votre tendresse, toute votre indulgence pour votre honnête et digne… frère !

— Je méprise et je hais celui dont vous parlez plus que vous ne pouvez le haïr et le mépriser vous-même… Ne vient-il pas de m’abandonner lâchement, me laissant exposée à votre vengeance pour un tort dont il est seul coupable ?

— Vous réglerez vos comptes avec lui, madame ; jusque-là réglons les nôtres… Je vous demande dans quel but, vous et M. de Cransac, vous êtes venus furtivement, la nuit, me dérober mon bien le plus précieux ? N’espérez pas m’abuser de nouveau… Répondez avec franchise, pendant que je peux modérer encore la colère qui gronde au dedans de moi-même… Je n’aurais pas besoin d’une arme pour briser comme verre une femme rusée et méchante qui m’a si cruellement trompé !

En même temps, il appuya sa main sur le bras de Fanny, et bien qu’il semblât en diminuer le poids, cette main n’en pesait pas moins comme un bloc de fer sur l’épaule délicate de la Parisienne. Fanny leva la tête et chercha sur le visage de ce jeune homme qui l’avait aimée une expression de pitié, un signe de faiblesse ; elle n’y trouva qu’un mépris inexorable, une détermination farouche. Alors la terreur l’emporta sur toutes les considérations. Vaincue, fascinée, tremblante,