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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

tandis qu’on entendait une respiration pénible et haletante, comme celle d’un soufflet asthmatique. Enfin le banquier parut, toujours vêtu de son pantalon nankin, de son habit bleu et de son gilet blanc, avec un bouton de rose à sa boutonnière. Quoiqu’il pût à peine parler, à raison de la rapidité de sa course, il demanda du seuil de la porte, avec un accent allemand très-caractérisé :

— Ah ! cà ! vicomte, quelqu’un vous aurait-il vu entrer chez moi ?

— Non, non, Colman, répliqua Hector sans se déranger et en souriant avec un peu de dédain ; ayez l’esprit en repos… Je n’ai été aperçu de personne, sauf de votre affreuse vieille portière, qui s’étonne toujours à la vue d’un visage masculin.

— À la bonne heure ! répliqua le banquier, en se laissant tomber lourdement sur le divan, voyez-vous, Cransac, nous ne pouvonis veiller avec trop de soin à ce que l’on ne soupçonne pas nos rapports… Nul ne sait ce qui peut arriver… Vous, mon cher, vous’en prendriez sans doute aisément votre parti, mais un homme comme moi, qui a tant à perdre…

— En effet, Colman, répliqua le vicomte sans s’émouvoir, au point de vue financier vous risquez plus que moi ; mais sous tous les autres rapports combien j’aurais plus à perdre que vous !

Colman feignit de ne pas comprendre l’intention blesssante de cette réponse, ou peut-être ne la comprit-il pas. Il étala sa grasse personne sur les coussins, et, s’éventant avec son mouchoir, il dit avec bonhomie :

— Eh bien ! vicomte, il y a donc eu une forte hausse aujourd’hui à Paris ?… J’ai vu vos gants blancs et je me suis empressé de faire acheter toutes les valeurs disponibles. D’autre part, je viens d’envoyer prendre à la loterie, par diverses personnes, les numéros dont vous m’avez remis la liste… Une aura le terne, une autre l’ambe, plusieurs au-