Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
205
LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— Voilà un contre-temps très-fâcheux, et ne craignez vous pas, Hector, qu’il ne nous expose à quelque désagrément ?

— Bah ! on n’a pu s’apercevoir encore de ce qui s’est passé à la tour Verte, et s’en fût-on aperçu, ce pauvre diable sans le sou ne pourrait nous atteindre de si tôt avec son pied boiteux.

— La justice aussi a le pied boiteux, Hector ; cependant on dit qu’elle finit toujours par arriver.

Le vicomte partit d’un éclat de rire.

— Sur ma parole ! Fanny, vous devenez « littéraire » en diable… Mais boiteux et boiteuse ne peuvent nous serrer de si près. Arrangez-vous le mieux possible d’une situation ennuyeuse.

— Ah çà, Hector, j’imagine que nous partirons demain matin de très-bonne heure ?

— Hum ! je ne sais trop ; les gens de ce pays paraissent peu dégourdis. Il ne faut pas compter sur leur activité, et vous aurez, je crois, tout le temps de vous délasser de vos fatigues. Je vous ferai avertir quand le moment viendra.

Pendant le reste de la journée, Hector entra et sortit à diverses reprises. Toutefois, le soir à souper, il se montra poli et prévenant avec sa compagne. Après le repas, il prit congé d’elle d’une manière presque affectueuse, et ils se retirèrent chacun dans sa chambre, fort satisfaits l’un de l’autre en apparence.

Ainsi, tandis que Raymond Fleuriot, en arrivant à Saint-Rémy, se désolait de l’inutilité de ses fatigantes poursuites et se laissait accaparer par un aubergiste madré, ceux qu’il cherchait avec tant d’ardeur se trouvaient à moins de cent pas de lui et presque à portée de sa voix.

Cependant Fanny n’était pas tout à fait tranquille. Elle avait remarqué dans le ton et les manières du vicomte à son égard quelque chose d’insolite qui excitait sa défiance. Elle éteignit sa lumière ; mais, au lieu de se coucher, elle