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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

ture et ne tournait plus les yeux vers son compagnon. Celui-ci paraissait s’inquiéter fort peu de cette mauvaise humeur, et bientôt, comme l’on montait une pente escarpée, il mit pied à terre sous prétexte de fumer un cigare.

Tout en marchant à côté du postillon, il eut avec cet homme une conversation assez longue. Fanny, qui était restée dans la voiture, eût bien voulu entendre ce qu’ils disaient, mais le piétinement des chevaux et le grincement des roues ne laissaient parvenir jusqu’à elle aucune parole significative. Enfin on atteignit le sommet de la pente et Cransac rentra dans la berline qui reprit aussitôt le galop,

— Fanny, dit-il à la belle boudeuse, je dois tout prévoir, et, comme je ne voudrais pas vous laisser dans l’embarras si certaines éventualités venaient à se présenter, permettez-moi une question : Avez-vous assez d’argent pour suffire à vos besoins dans le cas où nous serions séparés tout à coup ?

— Je… je ne sais trop, monsieur, répliqua-t-elle avec étonnement ; mais pourquoi cette question ?

— Parce que je serais désolé, Fanny, d’avoir de mauvais prócédés envers vous, et que certains cas, faciles à deviner, ne doivent pas nous surprendre. Il importe donc que vous ayez, indépendamment de moi, des ressources suffisantes pour faire face à toutes les nécessités… Prenez ceci, ma chère, ne fût-ce qu’à titre de précaution.

Il tira de son portefeuille plusieurs de ces billets de banque qui lui coûtaient si peu et les remit à Fanny, qui s’empressa de les cacher ; puis, comme les femmes de son caractère ne sont jamais insensibles à de pareils présents, elle reprit d’un ton considérablement radouci :

— Merci, Hector ; c’est en effet une excellente précaution… mais à présent, ne me direz-vous pas quel parti vous comptez prendre ?

— Eh bien ! ma chère, le danger est égal pour nous à Paris et à Bordeaux en ce moment ; le plus prudent serait