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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

grimaça un sourire d’intelligence, et aucune explication ne fut demandée au visiteur.

Le jardin de l’hôtel Colman avait alors une grande réputation à Bordeaux ; il n’était pas très-vaste, mais entouré d’arbres qui, en cachant les murailles, pouvaient faire illusion sur son étendue. Il consistait en un labyrinthe d’allées de verdure, égayées de distance en distance par des statues, des grottes factices, des jets d’eau ou des pavillons rustiques. Tout cela, à cause de la profusion et de la barbarie des ornements, était du plus mauvais goût ; néanmoins cette oasis de feuillage, presque au centre d’une ville considérable, avait bien son prix sous ce climat méridional. Aucun indiscret ne pouvait des fenêtres du voisinage y plonger un regard ; et le bruit courait que le gros Colman, qui était garçon et qui aimait le plaisir, avait réuni plus d’une fois la nuit, sous ces épaisses charmilles, une compagnie des plus joyeuses, au grand scandale des honnètes bourgeois des environs.

Mais le vicomte ne s’arrêta pas à contempler les merveilles de cet Eden financier. Il parcourait d’un pas rapide plusieurs allées qui s’entre-croisaient et atteignit bientôt un élégant pavillon chinois, enguirlandé de plantes grimpantes et fleuries. Il poussa sans hésitation une porte dorée et pénétra dans l’intérieur.

C’était une jolie pièce, entourée de larges et moelleux divans en étoffe de soie. Des stores, couverts de brillantes peintures, n’y laissaient pénétrer qu’un jour doux et affaibli. Au centre se trouvait un guéridon en laque de Chine, chargé de boîtes à cigares et de caves à liqueurs. Il n’y avait personne ; mais, comme il n’était pas nécessaire de se gêner beaucoup chez le banquier Colman, Hector prit un cigare, l’alluma, puis s’étendant sur le divan, il parut attendre patiemment que le maître du logis jugeât à propos de se montrer.

Sa patience, du reste, ne fut pas mise à une trop longue épreuve. Le sable d’une allée voisine cria sous un pas lourd,