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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

pas dérangé sans doute ; mais deux cavaliers qui s’avançaient côte à côte s’étant heurtés dans l’obscurité, l’un d’eux s’écria très-haut et d’un ton de colère :

— Prenez donc garde, butor ! Or, cette voix n’avait pas l’accent trainant du pays ; elle était nette, ferme, impérieuse, et, pour tout dire, Fleuriot crut reconnaitre la voix du vicomte de Cransac.

Aussitôt il sauta à bas du lit, et, courant à la fenêtre, il s’empressa de l’ouvrir. Quoique le ciel fût déjà lumineux, la terre demeurait couverte de ténèbres et Raymond ne put qu’entrevoir les deux cavaliers, qui ne tardèrent pas à disparaître au détour du chemin.

Son premier mouvement fut de s’habiller et de les suivre. Mais comment les atteindre ? Avant qu’il eût pu quitter l’auberge, ces gens devaient être loin. D’ailleurs, était-ce bien la voix de Cransac qu’il avait entendue ? Son imagination surexcitée ne l’avait-elle pas induit en erreur ? En y réfléchissant, il demeura convaincu qu’il était dupe d’une illusion.

Cependant il ne songea pas à se recoucher et vaqua rapidement à sa toilette. Il fut bientôt prêt et descendit dans la salle basse où il rencontra l’aubergiste qui venait aussi de se lever. Fleuriot ayant payé sa dépense, fit de nouvelles questions au sujet de la chaise de poste qui le préoccupait si vivement. Cette fois l’hôte se départit de sa réserve et répondit d’un ton railleur :

— Allons ! puisqu’il n’y a plus moyen de vous retenir, on peut vous dire que cette voiture est peut-être près d’ici. Assurez-vous si elle ne se serait pas arrêtée dans le village, car Saint-Rémy est grand, et je ne sais ce qui se passe à l’autre extrémité. Hier au soir, on cherchait des chevaux pour des gens qui étaient arrivés en poste et l’on n’en trouvait pas, attendu que tous les chevaux des cultivateurs sont employés dans les vignes… Véritablement, il ne serait pas