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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

— Trois lieues, c’est long !… N’importe ! j’irai à pied.

— Comment ! monsieur, vous pourrez…

Et elle désignait timidement la jambe boiteuse de Raymond.

— Je n’en suis pas moins capable de faire lestement ce trajet, dit Fleuriot ; je me sens réconforté par le repas que je viens de prendre ici… allons, adieu, ma bonne fille… Pourquoi votre maîtresse n’est-elle pas aussi affable que vous ?

Il prit sa canne, son paquet et partit tandis que la servante disait avec un mélange de colère et de tristesse :

— Monstre de Pierre ! Il est cause de l’embarras de ce gentil jeune homme… qui vaut cent fois mieux que lui. Fleuriot dut rebrousser chemin pour trouver la traverse et il s’y engagea sans hésiter. À peine eut-il fait une centaine de pas dans cette voie nouvelle, qu’il recueillit un indice précieux : un peu de pluie était tombé la veille, et sur le macadam vierge de la route départementale, des ornières toutes fraîches et des pas de chevaux annonçaient le passage récent d’une voiture légère. Bientôt il ne lui resta plus de doute qu’il ne fût sur la bonne piste. S’étant croisé avec un roulier qui conduisait un chariot chargé de merrain, il lui adressa quelques questions, et cet homme déclara qu’il avait rencontré une heure auparavant une voiture de maître contenant deux voyageurs « un monsieur et une jolie… jolie dame, » disait-il avec son accent angoumoisin. Fleuriot le remercia de ce renseignement et continua d’avancer. Une seule chose l’étonnait, c’était qu’il ne rencontrât pas le postillon ramenant les chevaux ; mais sans doute le postillon avait passé tandis que Fleuriot était en core à l’auberge ou bien il avait pris une route plus courte, à travers le pays.

Quoi qu’il en fût, l’employé du télégraphe n’avait plus qu’à gagner promptement ce village de Saint-Rémy où, selon toute apparence, la berline avait dû faire une longue