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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

La conclusion de ce monologue fut que Morisset se rendit au télégraphe et remplaça la pauvre fille, qui était près de succomber à la fatigue et à l’émotion.

Cependant Fleuriot s’éloignait rapidement de Puy-Néré et se dirigeait vers Barbezieux, où il comptait se procurer un cheval. Maintenant que le sang-froid commençait à remplacer l’effervescence du premier moment, il essayait de calculer les chances favorables de son projet.

— Qui sait, disait-il, si je n’aurai pas le bonheur de les rencontrer encore à la ville ? Ils sont partis de grand matin et probablement sans prendre le temps de déjeuner… Ces Parisiens aiment leurs aises ; ils auront pu s’arrêter à Barbezieux, afin de se procurer une foule de choses nécessaires au bien-être de leur voyage, et peut-être aussi quelque obstacle inattendu aura-t-il retardé leur départ… Oh ! si je pouvais encore arriver à temps !

Et il redoublait de vitesse. À chaque instant, il rencontrait sur la route des personnes de connaissance ; mais il n’avait pas l’air de les voir, ou bien il leur envoyait de loin un salut distrait et passait en courant, sans même retourner la tête.

Comme il approchait de Barbezieux, il vit venir à lui deux beaux chevaux de trait, sur l’un desquels était monté un jeune drôle en livrée élégante. Ce cavalier était John, le groom anglais du vicomte de Cransac ; il ramenait à Puy-Néré les chevaux qui avaient conduit la voiture à la ville.

Maître John, grand garçon à face de singe et à cheveux rouges, était peu causeur, d’autant moins qu’il comprenait mal le français, et le parlait plus mal encore. Tout en chevauchant, il sifflotait d’un air grave, et l’on pouvait soupçonner, à un certain balancement de sa tête, qu’il avait un peu fêté l’eau-de-vie de France dans la ville d’où il venait, et qui est si voisine de Cognac. Et cependant Fleuriot, dans l’espoir de tirer de lui quelques renseignements utiles, surmonta le mépris que le groom lui inspirait, et se plaçant au