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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

justifiée amènerait ta destitution… Songe à notre mère, songe à moi !

— Notre mère me pardonnera : quant à toi, c’est ton imprudence qui a causé le malheur qu’il s’agit de réparer… Adieu !

Comme il allait sortir, Lucile désespérée lui montra le télégraphe, situé à quelques lieues de là.

— À ton devoir, Raymond ! s’écria-t-elle ; voilà le poste de Paris qui se met en mouvement… Vite, à ton devoir ! Tu vas arrêter la transmission des dépêches, tu vas être signalé comme absent, et tu encourras un blâme sévère.

Elle savait combien une pareille adjuration avait de pouvoir sur son frère, et pensait que l’instinct de la profession allait l’emporter sur les passions tumultueuses qui, en ce moment, agitaient Raymond Fleuriot. Il se contenta de répondre avec un accent farouche :

— Que m’importe !

Et il s’enfuit.

Lucile voulait le suivre ; mais, toujours préoccupée de la grave responsabilité qui allait peser sur son frère si le pas sage des dépêches était interrompu, elle courut à la manivelle du télégraphe, en criant toujours :

— À ton service, Raymond ! Attends du moins que tu aies pu te faire remplacer par Morisset ou par Bascoux… Mon Dieu ! voilà le poste de Paris qui répète son signal !… Et mon frère s’en va… il sera destitué ! Si je pouvais… Plusieurs fois Lucile en se jouant s’était exercée à manier le télégraphe, sous la surveillance de Raymond, et bien qu’elle se fatiguât promptement à ce travail, trop rude pour une femme, elle y avait acquis une certaine habileté. Aussi, après avoir examiné, au moyen de la lunette incrustée dans la muraille, le signal que faisait l’autre station, s’ef força-t-elle de le répéter, et elle y parvint. Mais à peine y eut-elle réussi qu’un nouveau signal se présenta et qu’il fallut le répéter encore, puis un autre, puis toujours. La pau-