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LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

Hector n’osait faire aucun geste, aucun mouvement extraordinaire qui eût été remarqué des assistants et il lui fallait attendre que le hasard dirigeât vers lui les yeux de Colman.

Ce moment arriva enfin ; le banquier tressaillit et se redressa sur ses grosses, et courtes jambes ; puis son regard s’attacha sur le vicomte avec obstination. Alors Cransac détourna les yeux à son tour, et, sans affectation, par un mouvement qui semblait plein de naturel, il éleva ses deux mains comme pour arranger son chapeau.

Ses mains étaient couvertes de gants d’une blancheur irréprochable.

Aussitôt le spéculateur sortit de sa somnolence. Ses mouvements devinrent vifs, saccadés. Il appela d’un signe autour de lui plusieurs agents de change et leur dit quelques mots à l’oreille. Ces mots étaient :

Achetez… Achetez tout… Achetez à tout prix.

Les agents de change s’empressèrent d’exécuter ses ordres, et leurs voix glapissantes s’élevèrent avec ardeur au-dessus des voix qui produisaient déjà dans la salle un fracas assourdissant. En même temps le bruit se répandit que M. Colman jouait à la hausse sur les fonds publics.

Le vicomte de Cransac ne paraissait déjà plus s’occuper du banquier. Il descendit de son socle, comme un paisible curieux qui vient de satisfaire sa curiosité, et se mêla aux assistants. Toutefois il ne quitta pas la salle, et, quand la bourse finit, au milieu d’un redoublement de clameurs, il se glissa vers la porte, de manière à voir tous ceux qui sortaient.

D’abord la foule s’écoula en tumulte : les uns avaient la mine renversée, d’autres semblaient triomphants et joyeux ; la plupart gesticulaient et causaient avec chaleur pour achever une affaire difficile. Cransac les laissa passer ; mais quand il aperçut Colman, qui, suant et soufflant, s’efforçait à son tour de gagner la porte, il manœuvra si bien qu’il se