Page:Berthet — La tour du télégraphe, 1870.pdf/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
LA TOUR DU TÉLÉGRAPHE

À mesure qu’il lisait, sa figure exprimait la surprise, la colère et l’épouvante. Lucile, bien qu’elle éprouvât un ardent désir d’apprendre ce qui l’émouvait ainsi, n’osait l’interroger. Enfin Raymond froissa la lettre entre ses doigts crispés, et se dit avec un trouble inexprimable :

— Non, Vincent se trompe sans doute… Il est impossible que nous ayons été abusés à ce point ! Ce serait à devenir fou !

Et il se frappait le front. Lucile, qui suivait avec anxiété chacun de ses mouvements, lui demanda d’une voix tremblante :

— Qu’y a-t-il donc, mon frère ? D’où vient l’agitation où je te vois ? Mon Dieu ! est-ce que M. Vincent t’écrirait que… qu’il ne m’aime plus ?

— Il s’agit bien de cela ! La première moitié de la lettre de ce brave garçon est pleine d’expressions affectueuses pour toi… Mais à qui se fier en présence des révélations étranges, inouïes, monstrueuses que contient l’autre moitié ?… Tiens, lis toi-même, ajouta-t-il en lui présentant le papier, car il me semble que je rêve ou que je perds la raison !

Il s’appuya contre la muraille, comme si en effet il était pris de vertige. Lucile saisit la lettre qu’on lui tendait, et, après l’avoir parcourue avidement à son tour, elle répéta comme son frère :

— Ce n’est pas possible !… Je ne croirai jamais une pa reille infamie !… Et pourtant, ajouta-t-elle, si M. Vincent le dit, comment ne pas croire M. Vincent ?

La lettre de l’inspecteur des télégraphes était datée de Bordeaux, et voici le passage qui avait si profondément bouleversé Raymond et Lucile :

« … Quant à vos nobles voisins, les châtelains de Puy-Néré, je n’ai pas eu besoin d’aller jusqu’à Paris pour me renseigner sur leur compte. J’ai rencontré ici un ancien